Au matin du 6è jour de course, les deux têtes de flottes de la Cap-Martinique se rapprochent de Porto Santo, seule marque de parcours à laisser à tribord sur la route pour rejoindre Fort-de-France depuis la Trinité-sur-Mer. Beau temps, belle mer dans un flux de Nord-Est bien établi pour les 13 solitaires et 22 duos qui progressent vers l’arrivée. Ça glisse sous spi dans ce qui ressemble à de l’alizé. D’un côté comme de l’autre, les premières places se disputent cher, alors que les écarts se creusent sur une échiquier Atlantique qui reste ouvert…
Des petits airs associés à de forts courants contraires pour débuter, des bonnes claques à 35-38 nœuds au cap Finisterre, et des alizés portugais au rendez-vous… Toutes les conditions ont été réunies sur les premiers jours de course pour mettre les concurrents à pied d’œuvre sous spi, dans un rythme soutenu laissant peu de répit. À ce petit jeu, quelques concurrents sortent déjà leur sillage du jeu. C’est le cas de Stéphane Bodin (Des Gâteaux Solidaires) et Alexandre Ozon (Trophée de l’Estuaire rose) qui tiennent incontestablement leur rang de favoris aux places d’honneur dans le camp des solitaires. Ce dernier a beau avoir essuyé son lot de déconvenues avec la rencontre des pièces de bois et de précieux milles perdus dans les manœuvres pour se dégager de ces OFNIs, il s’accroche pour tenir la cadence imposée par le premier de cordée. Il contient son retard à une douzaine de milles ce vendredi midi.
Sanglier sur la piste noire
« D’entrée de jeu, j’avais une vitesse correcte sous spi dans le vent faible et petit médium. Mes spis neufs ont fait la différence,raconte Stéphane Bodin. « Je suis rentré en tête dans la piste noire au cap Finsiterre. Là je me suis transformé en sanglier dans la nuit noire, avec pas mal de déferlantes. Dans un vent de minimum 28 nœuds avec des claques à 35. Sous petit spi et un ris dans la GV, progressant pendant six heures au moins sous pilote automatique avec l’écoute de spi à la main, » poursuit-il. De quoi attaquer les alizés avec une légère avance, sans une égratignure avec un bateau au 100% de son potentiel.
Un peu plus en retrait, à 28 milles du leader en temps réel, Jean-François Hamon (Architectes sans Territoire) signe aussi un début de course prometteur. Ces premiers concurrents, qui croisent à la latitude de Gibraltar à la mi-journée progressent vers Porto Santo. « Les premiers bateaux qui ont vraiment bien négocié les oscillations du vent dans ce qu’on appelle l’alizé portugais, en plaçant leurs empannages au bon moment, vont passer près de l’île au Nord de l’archipel de Madère. Cap à l’Ouest ensuite, avant de peut-être plonger plus au Sud. Pour l’instant, les fichiers et les modèles suggèrent qu’ils devraient emprunter une route plutôt directe, sur le bord rapprochant vers la Martinique. L’alizé est assez instable, irrégulier, mais il est établi, » indique Christian Dumard, météorologue. D’après les derniers routages, ces leaders sont attendus la nuit prochaine à ce passage qui indiquera le moment d’enclencher le clignotant à droite. Preuve que la flotte ne traîne pas en si bon chemin, dans le bon tempo pour boucler ce parcours sans escale à travers l’Atlantique en une petite vingtaine de jours.
Slalom sous croissant de lune
Du côté des binômes, la première paire - celle formée par Ludovic Gérard et Nicolas Brossay (Pure Ocean) -, progresse très proche du 4è solitaire, Jean-Pierre Kerbert (SNSM Morbihan). Pour eux aussi, le calme revenu après un cap Finisterre tonique est plutôt bienvenu. « Là on commence vraiment à prendre du plaisir lorsque le bateau glisse tout seul sous pilote dans la nuit étoilée avec à peine un croissant de lune. Debout à l'arrière, le voir avancer, slalomer pour dévaler la houle, c'est le kiff ! Et c'est ce que nous sommes venus chercher avant tout, » raconte le premier duo. Mais lui aussi doit se méfier de ses poursuivants immédiats, à commencer par les frères Froment (Le Rocher-Oasis des Cités), à moins de 8 milles derrière qui tirent tous les bénéfices de leur complicité et de leurs entraînements assidus en Méditerranée.
Le troisième duo, celui d’Alexandre Delemazure et Emmanuel Weil (Project Rescue Ocean), pointe, lui, à une douzaine de milles. Au sein des deux flottes, une première hiérarchie se met en place sur la descente vers Porto Santo. En témoignent les 180 milles qui séparent aujourd’hui le premier solitaire et le duo de tête de leurs concurrents de l’arrière. « Selon la position des bateaux, avec un écart d’environ 24 heures entre les premiers et les derniers au passage de Porto Santo, on pourra voir des routes assez différentes se dessiner pour rejoindre la Martinique. Il y aura du vent sur cette deuxième partie du parcours. Tout l’enjeu sera de se positionner sur les bons couloirs autour d’un alizé moyen oscillant entre 17 et 22 nœuds, » complète Christian Dumard. Des conditions qui restent très favorables pour les 2 650 milles (environ 4 900 km) sur l’orthodromie qu’il restera alors à courir pour rallier la Martinique. C’est dire si le jeu reste ouvert sur cette traversée qui revêt pour beaucoup tous les atours de la grande aventure…